SANS CONSCIENCE d’une HISTOIRE COLLECTIVE à RACONTER,
pas de SENTIMENT d’ IDENTITE POSSIBLE
Comment un groupe peut-il se constituer une identité ?
(chronique de Jacques KAHN, novembre 2015)
Un groupe humain, c’est un ensemble de personnes qui se sont données un projet et qui sont capables d’en raconter l’origine et l’évolution. Le groupe qui ne tient pas compte de son enracinement et dont les membres n’auraient plus ou pas assez conscience des moments-clés qui ont permis sa progression, s’expose à ne plus se trouver d’identité.
Une réalité que j’ai pu observer, tout à fait normale compte tenu de la spécificité de notre association, mérite néanmoins une prise en compte, dans cette réflexion sur nos fondements. En effet, ce qui nous réunit est peu de choses, au regard des associations où les membres partagent une même expérience et des attentes largement identiques, comme par exemple dans un club sportif, un cercle scientifique ou un groupe d’intérêts communs (hobbies, collectionneurs). Nous habitons le même coin et nous souhaitons nous y sentir bien, mais cette communauté d’habitats ne fait pas de nous spontanément des partenaires. On pourrait dire que nous nous retrouvons dans le même souhait de « bien vivre ensemble », entendu le plus souvent de façon plutôt négative, puisque le côté le plus évident de cette attente n’est-ce pas le plus souvent, le souhait que les autres ne nous dérangent pas ?…Ceci ne néglige pas le fait, tout de même, que cela ne nous ennuie pas qu’il « se passe quelque chose » dans notre coin, surtout qu’il est particulièrement « perdu » (plus aucun commerce, plus aucun service) et que la plupart d’entre nous aiment bien de vivre des moments communs de fêtes, d’événements, sans lesquels la vie de quartier tourne vite à la cité-dortoir. La tendance générale, aujourd’hui dans notre société, étant plutôt du côté du repli confortable et de l’individualisme gentiment jouissif (« nous le valons bien », non ?), c’est le plus souvent un mouvement de sursaut contre ce qui viendrait troubler cette tranquillité repliée qui obtient le réveil du sentiment collectif. Ou alors, l’émotion face à une catastrophe qui éveille le besoin de se mobiliser, surtout… pour en être quitte. Si ce que j’évoque ici rencontre quelque part votre propre représentation du bien-être immobilier, on peut comprendre qu’il n’est pas si facile de créer un mouvement associatif sans véritable besoin de défense, qui le soutient alors le temps que dure la résistance à l’obstacle. Un exemple vécu très concret : on se réunira volontiers pour faire face au projet d’urbanisation du plateau de Ferrières au moment où celui-ci semble se réveiller, mais pour ce qui est de s’y préparer à moyen terme, d’y réfléchir en temps de répit et de rester collectivement vigilant, cela semble relever de l’impensable.
Je ne fais pas cette observation pour renforcer le pessimisme ambiant par rapport à l’impossibilité d’encore mobiliser les gens, même en faveur de leur propre bien-être. De ce point de vue, le « Comité de Quartier de Limauges » aurait tort de se plaindre, vu le large appui de sympathie à l’organisation et de participation aux événements proposés. Mais une observation qui mérite d’être tout de même prise en compte concerne deux faits à prendre en compte de façon réaliste.
D’abord, il est clair que l’on veut bien soutenir de sa présence les activités de divertissement. Le grand feu réchauffe nos débuts de fin d’hiver, le barbecue nourrit la convivialité, les jeux intervillages permettent de s’éclater, et halloween apporte son lot de féerie et d’émotions aux enfants. C’est ainsi qu’un certain nombre de personnes, qui pourraient apporter du poids à l’association, pour renforcer souplement son fonctionnement, disent clairement qu’elles veulent bien s’amuser avec nous…
Par ailleurs, si le thème « les gens n’ont plus le temps » semble devenu une sorte de constat trivial, je constate avec une certaine préoccupation la dominante : « si je pouvais, je ne demanderais pas mieux, mais je n’ai vraiment pas le temps de m’investir dans quelque chose actuellement ». Et qui irait jeter la pierre à tant de jeunes ménages forcés de travailler à deux ou de personnes plus âgées qui ont déjà bien assez de contraintes de toutes sortes ? Mais alors où trouver la relève nécessaire ou tout simplement les coups de main multiples, nécessaires eux aussi ?
Mon observation me révèle donc surtout une ambivalence : d’une part nous pouvons nous réjouir du taux de participation et d’engagement (quand on voit combien peinent, ailleurs, les initiatives qui s’improvisent et ne peuvent soutenir la diversité d’activités en cours ou en projets) et la qualité d’une belle convivialité acquise déjà largement. Mais d’autre part, le souci du renouvellement des cadres et de l’extension de l’engagement d’un plus grand nombre de petites disponibilités efficaces devrait être une priorité de l’Association « par les temps qui viennent ».
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